Bornages-surprise en forêt domaniale des Trois Pignons et alentours Pierre GRABER Avril 2008 / novembre 2009 :
Achevant en 2006 nos recherches sur les bornages et bornes de l ancienne forêt royale de Fontainebleau, recherches qui nous offrirent l occasion d un retour sur la longue histoire de notre environnement local (1), nous étions loin d imaginer vers quelles surprises nous entraînerait le renouvellement de ces actions en forêt domaniale des Trois Pignons. Il faut en effet se rappeler qu au contraire de la forêt domaniale de Fontainebleau, issue d un héritage historique homogène relativement local et circonscrit, l espace forestier domanial des Trois Pignons est formé d acquisitions ONF relativement récentes, constituées de parcellaires extrêmement nombreux et variés. De plus, la proximité de villages aux limites contiguës et parfois imbriquées dans celles du domaine forestier pouvait nous conduire à craindre ou soupçonner une histoire de pierres de bornage des plus imprévues. Lors de nos randonnées, ainsi que par la lecture de certains auteurs (2), l existence dans la partie sud du massif de fragments épars de lignes de bornages nous était connue. Cependant, nos interrogations auprès des Agents de l ONF nous apportèrent rapidement la conviction qu aucune étude et recherches sérieuses ne semblaient avoir été entreprises sur le sujet.. Quelle tentation! Où les prospecteurs partent en expédition.. Nous avions par conséquent d excellents motifs pour entreprendre des recherches en règle, associées à des contacts avec l ONF, à des visites et recherches en mairie de Noisy-sur-Ecole, aux Archives départementales à Dammarie-les-Lys, dans les ouvrages spécialisés, sur l Internet, etc La bêche, l appareil photo et le GPS entrèrent en action Ainsi fut trouvée ou mise au jour une série de 17 pierres de bornage traçant la ligne discontinue décrite ci-après : Cette ligne commence avec la supposée borne N C1(3) située sur le Chemin de la Ségognole, à la sortie Nord de Noisy-sur-Ecole, en bord de route et d un ancien lavoir, exactement à la limite Sud-Est du Domaine de Chambergeot, et se poursuit à travers la forêt domaniale des Trois Pignons jusqu à la jonction avec la pierre de bornage 1 marquée d une croix latine, décrite plus loin, en bord de la route D 409 Arbonne-la-Forêt / Milly-la-Forêt. Nous étions donc devant une ligne de pierres de bornage très cohérente, laquelle, malgré quelques absentes inévitables devait bien avoir une histoire et une identité? La lettre C figurant sur chaque borne posait en outre la difficile question suivante : quelle signification, voire quelle appartenance et quelle époque ou date d implantation? Toutes les recherches qui suivirent furent dépendantes de la réponse à cette question : C comme Chambergeot, ou?? Certaines cartes anciennes, examinées ou photographiées à la mairie de Noisy-sur-Ecole ou aux Archives départementales donnaient bien quelques indications sur un vague et hypothétique cheminement du bornage ; mais aucune indication ou position sur d éventuelles bornes ne furent trouvées. Une explication rationnelle ou une preuve écrite devenaient nécessaires. Voir la Carte panoramique du réseau de bornes C (page 3 planche N 10). Ci-dessous, quelques bornes marquées de la lettre C : Photos F. Didierjean 1 - Voir La Voix de la Forêt 2006/1 2 - Jean Vivien La Voix de la Forêt 1982/1 3 - L un de nous a finalement trouvé la borne N C1 en bord de la route D 63 e, au début de l allée encadrée par deux bornes menant au porche de l église de Noisy-sur-Ecole. Son actuelle position n a donc plus aucun lien avec la ligne mise au jour. La borne N C12 manquante a été retrouvée par les Services Techniques de Noisy-sur-Ecole et placée au centre du Carré du Souvenir dans le cimetière de cette ville. Il a été convenu que cette borne sera replacée en son lieu d origine, identifié et repéré lors d une visite commune AFF / Ville de Noisy en avril.
Deuxième découverte et première surprise : la ligne d anciennes pierres de bornages. A proximité du bord de fossé, le long de la route D 409/D 837 menant d Arbonne-la-Forêt à Milly-la-Forêt, nous connaissions l existence de deux pierres de bornage portant des lettres gravées, mais sans aucun numéro, pierres situées en limite sud de Coquibus. L une d elles, d ailleurs, porte gravée une superbe croix latine, ce qui déjà lui confère un intérêt particulier. Autre observation d importance : face à cette même pierre, après le parking ONF et directement vers le sud s ouvre le Chemin de la Borne à l Enfant, trajet final nord de notre ligne de bornes C!! Puis l étude minutieuse de la carte IGN 2417 OT nous permit d observer que la dite pierre à croix latine était positionnée exactement à l angle formé, d une part avec le bord de la route en question, et d autre part avec la ligne dite de Limite du Parc Naturel en zone périphérique, communément appelée la Limite départementale, ligne orientée nord/nord ouest. Ces signes devaient donc être exploités pour tenter de mieux identifier l aire de répartition de nos bornes C. Suivre le bord de la route, à la recherche d autres vestiges allait de soit, et nous fumes récompensés (voir la Carte panoramique déjà citée). Ces recherches permirent : - d une part de découvrir toute une ligne d anciennes pierres de bornage de territoires communaux, lesquelles cernent presque en totalité la partie nord de la forêt domaniale des Trois Pignons (et la limite sud de Coquibus). Toutes ces pierres désignent les communes d Arbonne-la-Forêt, de Milly-la-Forêt et de Noisy-sur-Ecole. - d autre part, pour le premier volet de notre étude, de confirmer en partie l étendue d un domaine : toutes les bornes retrouvées ont leurs repères - chiffres et lettres C - orientés vers la zone forestière Ouest et Nord ; de même, la borne C (sans chiffre), isolée le long de la route des Grandes Vallées et située au niveau de la barrière ONF du Chemin de la Gorge aux Châtaigners est orientée Est et paraît refermer à l Ouest l ensemble de ce domaine ; hypothèse formulée, malgré les recherches, en l absence d autres bornes identifiables prolongeant cette limite ouest vers le sud. Il est à noter que cette partie sud le long de la route des Grandes Vallées est urbanisée et ne se prête guère à la protection éventuelle de ces anciens vestiges Pierre à la croix latine (N 1) A-M-N (Photo P. Graber) 5 Pierre de la Passée aux Moutons (N 2) M-N (Photo P. Graber) 6 Pierre à la chaîne (N 3 ) Sans aucun signe visible (Photo F. Didierjean) Pierre extrême Ouest (Milly - N 3 Bis) M-M-N ( Photos F. Didierjean) 7 Pour le positionnement de ces pierres de bornage, voir : Carte panoramique du réseau de bornes C (page 3 planche N 10) Note : Les numéros portés sur chaque photo correspondent Pierre de St Georges/Rte des à ceux affectés à chacune des planches détaillées, non jointes Grandes Vallées (N 4) à la présente étude. M-N (Photo F. Didierjean) Pierre Rte des Grandes Vallées Pierre de St Georges (N 3 Ter) vers Noisy-sur-Ecole (N 4 Bis) M-N (Photo F. Didierjean) M-N (Photo F. Didierjean) Description et signification des chiffres-repères : 1 : Pierre de bornage à la croix latine, portant gravées les lettres A comme Arbonne-la-Forêt, M comme Milly-la-Forêt, et N comme Noisy-sur-Ecole. 2 : Pierre de bornage du Chemin de la Passée aux Moutons portant gravées les lettres M comme Milly-la-Forêt et N comme Noisy-sur-Ecole. 3 : Pierre de bornage à la chaîne, ne portant apparemment aucune gravure, 4 : Pierre de bornage extrême Ouest (vers Milly-la-Forêt), avec guidon d angle, portant les lettres M comme Milly-la-Forêt, gravées sur deux faces perpendiculaires, et la lettre N gravée en diagonale et orientée en direction de Noisy-sur-Ecole. 5 : Pierre de bornage située non loin de la route D 837, dans le domaine du Pavillon de Chasse de St. Georges, portant gravées les lettres M comme Milly-la-Forêt et N comme Noisy-sur-Ecole. 6 : Pierre de bornage avec guidon d angle, située derrière un grillage, et renvoyant le long de la route des Grandes Vallées ; elle porte gravées les lettres M comme Milly-la-Forêt et N comme Noisy-sur-Ecole. 7 : Pierre de bornage le long de la route des Grandes Vallées vers Noisy-sur-Ecole et portant gravées les lettres M comme Milly-laForêt et N comme Noisy-sur-Ecole. 2
3 A ce stade, nous avions sérieusement progressé : de toute évidence cet ensemble de bornes et de pierres de bornages délimitaient un vaste domaine, incluant le château de Chambergeot ; mais la réponse à nos questions n apparaissait toujours pas..! C est une remarque prononcée par le secrétaire de la mairie de Noisy-sur-Ecole qui nous ouvrit une nouvelle piste : vous devriez voir du côté de Chelles. Ce que nous avons fait, en progressant de surprise en surprise! C comme Chambergeot ou C comme Chelles?? Pour aborder et découvrir cette partie peu banale de notre histoire régionale, remontons tout d abord le temps, puis transportons-nous à environ 60 km (je devrais dire 15 lieues) au nord de Fontainebleau, quelque peu à l est de Paris : nous voici en l abbaye de Chelles, près des rives de la Marne. L abbaye de Chelles? Elle fut l une des plus célèbres et des plus anciennes abbayes de France. Afin d éclairer le lecteur sur ce qu était autrefois la vie dans ces communautés, je propose de s attarder sur le résumé historique qui suit, particulièrement éloquent et instructif (4) : Selon la tradition, c est la reine Clotilde, veuve de Clovis qui, en l an 515, fonda à Chelles une chapelle dédiée à Saint-Georges et un petit monastère de filles. Au siècle suivant, vers 657, la reine. (Voir à la fin de l article)... A la Révolution, l abbaye subit le sort des communautés religieuses. Elle fut fermée et en octobre 1792 les nonnes étaient dispersées ; quelques jours plus tard les bâtiments étaient pillés. L abbaye fut vendue en 1796 comme bien national.. Où l on découvre un autre visage de ces puissantes abbesses.. L examen de textes émanant de la ville de Chelles nous apprend qu au début du XVIII ème siècle, la superficie occupée par l ancien domaine de l abbaye était estimée à près de 18% du domaine communal, ce qui paraissait déjà conséquent. Ces textes précisent que Chelles, à cette époque, était devenue une véritable résidence royale : les abbesses cumulaient les droits de justice et de nombreux attributs qui en découlent ; elles percevaient notamment des taxes sur les activités économiques des Chellois : vigne, boucherie, maçonnerie. Et justement, concernant précisément les droits de justice, les documents consultés aux Archives départementales de Dammarie-les-Lys nous révèlent ceci : «L échelle était la marque distinctive du droit de haute, moyenne et basse justice». «Au milieu de la place, ou Grande Rue du bourg de Chelles, dit l abbé Lebeuf (9), se voit une échelle en bois destinée à servir de supplice aux criminels. Elle est détachée de tout édifice, fort élevée et fort grande ; les échelons sont en forme de degrés d escalier et ne sont point à jour. Au haut de cette échelle, il y a deux planches qui, au milieu et de chaque côté, sont échancrées. On lève la planche supérieure et on met, dans l échancrure qui est au milieu de l
qui est au milieu de l inférieure, la tête du criminel et ses deux mains dans les autres échancrures ; on baisse ensuite la planche supérieure, en sorte qu il se trouve la tête et les deux mains prises, et on l expose en cet état quelque temps à la vue du public.» Ce supplice qui ressemble à celui du pilori, était autrefois assez commun. Ce texte contient le renvoi suivant : «Les bornes qui indiquaient la limitation des terres comportent, gravée dans le grès, l échelle évasée surmontée d une crosse, cet emblème religieux s appuyant sur le centre du barreau terminal. Les terres et bois étaient la propriété de la congrégation religieuse de l abbaye royale de Chelles, en 1728, sous le règne de Louis XV». lesquelles nous entraînent près de chez nous! Reproduction de l échelle gravée sur le menhir de la Pierres-aux-Prêtres (Document GERSAR) Partant de l observation, en 1971, d une échelle gravée sur le menhir de la Pierre-aux-Prêtres (10), situé à Tousson (voir la carte), certains membres du GERSAR (11) entreprirent d intéressantes recherches, publiées dans le bulletin N 8 (1978) de leur association : article intitulé Gravures d échelles observées sur des pierres levées, par J. Poignant. Nous reproduisons ci-après, associés à nos développements personnels, certains éléments de cette étude, lesquels nous paraissent utiles pour soutenir la suite de notre propre étude. Cette première observation donna lieu à la découverte suivante : «Une pierre levée, le petit menhir du Goulay, sur Noisy-sur-Ecole, (en limite d Oncy) sur lequel on peut voir la gravure d échelle, orientée vers Noisy..». Et cette tentative d explication : «L échelle est l axe central qui unit le ciel et la terre». «On connaît à cet égard l échelle de Jacob, le long de laquelle montaient et descendaient les anges». Nous avons vu plus haut que la réalité était beaucoup moins poétique Les environs de Paris disparus - Georges Pillement - (Remarque : selon l origine d autres textes et auteurs, certaines divergences historiques apparaissent) Voir texte sur site Web. 9 - Non identifié Menhir classé monument historique le 10 février La gravure (très discrète) de l échelle est de très loin postérieure à l édification du menhir Groupe d Etudes, de Recherches et de Sauvegarde de l Art Rupestre (Siège social : Mairie de Milly-la-Forêt 91490). 3
4 Les recherches du GERSAR permirent, d une part, d établir des liens avec les bornages effectués par les abbesses de l abbaye royale de Chelles (12), et d autre part de comprendre que cette pierre levée n était autre qu une pierre de bornage (13) : «Seule, en France, l abbaye royale de Chelles possède une échelle dans ses armoiries». Et les révélations apportées par ces recherches se poursuivent : «Signalons comme exemple qu un domaine des religieuses de Chelles, situé à Rantigny, dans l Oise, est limité aussi par des bornes portant la gravure d une échelle. «Un historien de Milly-la-Forêt fut l auteur de plusieurs textes sur les relations, les multiples différentes transactions et autres procès entre les abbesses de Chelles et les seigneurs de Milly, de Noisy et du Vaudoué. Des démêlés sans fin, beaucoup de procès, des changements de délimitations pour des terres situées entre Le Vaudoué et Noisy eurent lieu entre 1255 et «Un arrêt du parlement, daté du 7 juin 1518, confirmant une sentence du Prévôt de Paris, par laquelle les héritiers de Louis de Graville (14) sont tenus d abandonner aux religieuses de Chelles 80 arpents de terre en la seigneurie de Noisy et du Vaudoué. «Ce qui fait l intérêt majeur de ce document, c est qu il indique la délimitation des possessions de l abbaye de Chelles dans les seigneuries de Noisy et du Vaudoué, en mentionnant toutes les bornes délimitant ces possessions. Dans ces limites, il y avait plusieurs fiefs et villages : Noisy, Auvers, Porepeaulx, Chambergeot, Feularde et d autres.. Noisy, Chambergeot! Voici pour nous une piste du plus grand intérêt!! Fond de carte extrait du livre Le Vaudoué-en-Gâtinais (Association éponyme) Voir la carte ci-contre, représentant le périmètre Article de MM. Poignant et Bernier, du GERSAR (voir page 87), intitulé : supposé de ces possessions. Bornes-limites des possessions de l abbaye de Chelles au Vaudoué et Noisy-surEcole Mais poursuivons, avec ces autres précisions Editions AMATTEIS-1996 / Archives départementales de Seine-et-Marne. contenues dans les études du GERSAR.. : «L arrêt de 1518 situe l emplacement d une trentaine de bornes, mais à aucun moment ne fait mention de bornes gravées d une échelle. Nous savons que ces gravures ont été exécutées au début du XVIIIème siècle, soit deux siècles après l arrêt du Parlement...(15). «Un heureux hasard nous a appris l existence de bornes gravées déposées et transportées au Vaudoué et placées devant le bureau de la Poste.. Description et signification des lettres-repères portés sur la carte : A : Menhir de la Pierre aux Prêtres situé en limite de Tousson et de Noisy-sur-Ecole. B : Le Petit menhir du Goulay, situé en limite de Noisy-sur-Ecole et d Oncy, finalement reconnu comme pierre de bornage à l échelle. Très récemment, nous avons pu constater que cette pierre de bornage n était plus à sa place et aurait été transportée depuis longtemps dans la cour de l école.. de Noisy-sur-Ecole (cité dans les textes du GERSAR, confirmé par le témoignage d un agriculteur d Oncy et vérifié sur place à Noisy.. L échelle gravée est orientée vers la gauche, comme sur le menhir de la Pierre aux Prêtres ; sur la face opposée, apparaît très effacé un grand cercle, dont la signification reste inconnue. A B (Photos P. Graber) (Photos GERSAR) 12 - C est semble-t il l abbesse Anne de Clermont Gessan qui, vers 1755, aurait fait planter des bornes gravées d une échelle aux limites des possessions de l abbaye (Etude du GERSAR). Ceci concorde avec la date 1730 gravée sur l une des bornes du Vaudoué (repère C page 6) Voir repère B ci-dessus Non identifié Sources non précisées. 4
5 C : Deux pierres de bornage gravées de l échelle, scellées côte à côte devant le bureau de la Poste du Vaudoué. L une des deux bornes, dont l échelle est orientée vers la droite, porte gravée la date de 1730 (16). L échelle gravée sur la seconde est orientée vers la gauche, comme sur les deux précédentes A et B. C C (Photos F. Didierjean) (Photos F. Didierjean) D : Une pierre de bornage portant une échelle gravée, que nous avons découverte par hasard couchée dans l herbe en bord de la route D63 conduisant du Vaudoué à Tousson, devant la ferme de Poisereau. Nous avons alerté le service du patrimoine de la mairie du Vaudoué, le GERSAR et l Association des Amis du Patrimoine du Canton de La-Chapelle-laReine. Cette pierre aurait été trouvée parmi des grès provenant de la démolition d anciens bâtiments par le propriétaire des lieux, monsieur François Morisseau lequel, après concertation entre ces spécialistes, devait mettre celle-ci en sécurité dans sa vaste cour. Finalement, le propriétaire a pris l initiative de la placer contre le mur intérieur situé à droite du porche d entrée (17). Cette opération a permis de mettre en